Depuis 2016, un nouveau critère de discrimination a été introduit discrètement dans le droit français : la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.
Introduit par la loi de modernisation de la Justice du XXIe siècle, ce critère vient compléter la liste des discriminations interdites prévues à l’article L.1132-1 du Code du travail, via renvoi à la loi n°2008-496 du 27 mai 2008. Il protège toute personne d’un traitement défavorable lié au fait de parler une langue étrangère ou régionale, dans le cadre du travail. Encore méconnu, ce critère soulève des questions pour les responsables de recrutement et les managers.
Ce que dit la loi
Un critère de discrimination
L’article L.1132-1 du Code du travail interdit toute mesure discriminatoire à l’encontre d’une personne en raison de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français. Cela signifie qu’une personne salariée ou candidate à l’embauche ne peut pas être défavorisée ou écartée d’une opportunité professionnelle pour ce motif.
Ce critère linguistique s’ajoute à ceux déjà énumérés par la loi, tels que l’origine, le sexe, l’âge, l’orientation sexuelle ou encore les convictions religieuses. L’objectif est de rappeler que la diversité linguistique, comme les autres formes de diversité, ne doit pas devenir un motif d’exclusion au travail.
Ce qui ne relève pas de la discrimination linguistique
Le critère de discrimination lié à la langue ne concerne pas les personnes en situation d’analphabétisme ou d’illettrisme, ni celles qui ne maîtrisent pas le français. Il ne vise donc pas à protéger l’absence totale de compétences linguistiques nécessaires pour travailler.
Il ne remet pas non plus en cause l’obligation légale d’utiliser le français comme langue de travail, prévue par la loi n°94-665 du 4 août 1994, connue sous le nom de loi Toubon. Les documents de travail, contrats, consignes de sécurité ou notices destinées aux personnels doivent ainsi être rédigés en français.
Enfin, ce principe ne s’oppose pas à l’exigence d’une autre langue quand celle-ci est directement liée à la nature du poste et que cette exigence est objectivement justifiée et proportionnée. Par exemple, un emploi nécessitant des échanges réguliers avec des interlocuteurs étrangers peut légitimement demander la maîtrise d’une langue spécifique.
Les exemples de formulations
Certaines expressions utilisées dans les offres d’emploi ou les descriptions de poste peuvent constituer une discrimination linguistique lorsqu’elles font référence à l’origine ou à la langue maternelle des candidats et des candidates.
Les formulations interdites
Des mentions comme « Candidats natifs anglophones uniquement » ou « De préférence des candidats dont la langue maternelle est le français » sont proscrites. Elles excluent des personnes qui possèdent pourtant les compétences linguistiques nécessaires, mais dont la langue d’origine ou la nationalité ne correspond pas à la mention exigée.
Les formulations recommandées
En revanche, il est préférable de préciser les compétences linguistiques attendues pour le poste. Par exemple : « Le poste nécessite d’être bilingue en anglais et français » ou « Le poste requiert que le candidat soit bilingue en français ». Ces formulations se concentrent sur la maîtrise de la langue, utile pour exercer les missions confiées, sans se baser sur l’origine des candidats ou candidates.
Discriminations linguistiques pendant le recrutement
La rédaction des offres d’emploi
Lorsqu’une offre d’emploi est rédigée, une langue étrangère ou un niveau particulier ne peuvent être exigés que si cela est strictement nécessaire pour exercer le poste. Par exemple, demander la maîtrise de l’italien pour un poste de comptable qui n’implique aucun contact avec des clients ou partenaires italiens serait considéré comme une discrimination linguistique.
De plus, les formulations subjectives sont également à éviter, car elles ouvrent la porte à l’arbitraire. Écrire « Niveau irréprochable de français souhaité » ou « Anglais sans accent » ne repose pas sur des critères objectifs et peut exclure des personnes compétentes.
De même, certains termes comme « à l’aise à l’oral » ou « bonne élocution » peuvent prêter à confusion. S’ils ne sont pas justifiés par des besoins concrets du poste, ils risquent d’introduire un biais subjectif dans la sélection des candidatures.
Les discriminations durant les entretiens d’embauche
Pendant l’entretien, certaines remarques ou questions sur la langue peuvent être considérées comme discriminatoires si elles n’ont pas de lien direct avec les compétences attendues. Des exemples typiques : « Vous avez un accent, d’où venez-vous ? », « Vous parlez français à la maison ? », ou encore « Vous êtes sûr de vous faire comprendre au téléphone ? ». Ces interrogations portent sur l’origine plutôt que sur les aptitudes professionnelles et n’ont pas leur place dans un processus de recrutement.
Prévenir les discriminations linguistiques
Rédiger des offres d’emploi inclusives
Lorsqu’une offre d’emploi mentionne la maîtrise d’une langue étrangère ou régionale, il est indispensable de pouvoir justifier cette exigence. L’employeur doit être capable d’expliquer en quoi la langue demandée est réellement indispensable pour exercer le poste proposé. Sans lien direct avec les missions, cette exigence pourrait être interprétée comme discriminatoire.
Il est également important de bannir les termes subjectifs car ils peuvent exclure des profils compétents. Pour vous assurer de rédiger une annonce sans discriminer, il existe des outils comme l’Analyseur de À Compétence Égale, qui permet de repérer les formulations à risque et d’adopter un vocabulaire plus neutre et inclusif.
Sensibiliser les recruteurs et les managers
La prévention passe aussi par la formation des équipes qui participent aux recrutements ou au management. Les sensibiliser aux discriminations linguistiques et aux bonnes pratiques permet d’éviter les biais inconscients. Pour cela, il existe des formations spécifiques comme « Recruter sans discriminer » ou « Manager sans discriminer » proposées par À Compétence Égale.
Pour aller plus loin, des ateliers sur les stéréotypes peuvent être organisés. Certains outils ludiques, tels que le Déclicheur, aident à identifier et déconstruire les idées reçues de manière interactive et accessible.
La capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français figure désormais parmi les critères de discrimination interdits par le Code du travail. Bien que le cadre juridique soit clair, ce motif reste encore peu connu et parfois mal appliqué, notamment dans les offres d’emploi ou les entretiens. Veiller à la clarté des formulations et à la sensibilisation des équipes RH permet d’éviter les discriminations.
Télécharger Les discriminations linguistiques au travail


